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Ma gare, ma deuxième maison...
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Ma gare, ma deuxième maison...
  • Je ne pensais pas un jour atterrir dans une gare, y travailler, et aimer cela. J'aime les gens, les aider, mais ma passion, c'est d'écrire. Alors voilà : je vais écrire sur mon travail. Bon compromis, non ? Bonne lecture à tous !
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16 mars 2016

"Mais roulez-lui dessus ! "

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Dans mon métier, et dans celui de beaucoup de mes collègues, la sécurité est essentielle. La ponctualité, le service rendu à nos clients... Rien n'est plus important que ces vies humaines que nous transportons et rencontrons en gare !

Je vais vous parler aujourd'hui d'un événement qui arrive presque quotidiennement sur nos rails... Ce genre d'événement auquel on aimerait ne jamais assister. L'accident de personne.

Chaque fois que j'entends le sifflet (l'avertisseur sonore, et pour le terme pas pro du tout : le klaxon) d'un train retentir dans ma gare, je sens toujours mon ventre se nouer. Chaque fois, j'ai peur de sortir sur le quai, et de devoir faire face à la mort.

Jamais je n'aurais pensé que cela pourrait arriver dans ma gare. Quand ce genre de situation nous est encore inconnue, on se dit bêtement "ça n'arrivera jamais par ici". Mais des âmes perdues et deséspérées, il y en a partout ! Des imprudents, il y en a partout ! Et des trains, il en roule des centaines par jour ! Alors, chaque jour sans encombre est un cadeau du ciel, et il est complèment illusoire de penser qu'il est impossible que ça nous arrive. Rien n'est impossible.

Je me rappelle très bien. C'était le jeudi 12 novembre. Je m'en souviens si bien, parce que le lendemain survenaient les attentats atroces de Paris... Et ça n'a fait qu'en remettre une couche en terme de vies gâchées et de tristesse.

A dix-neuf heures, nous avons entendu l'avertisseur sonore d'un train retentir dehors. Les premières secondes, l'inquiétude est moindre. Beaucoup de monde se croit obligé de se coller au bord du quai, comme si le train allait les oublier, malgré le danger immense que cela représente pour leurs vies. Bien souvent, le train siffle pour avertir, mais le pire arrive rarement - ce qui ne met personne à l'abri pour autant. Pourtant, le sifflement a duré... Presque dix secondes. Nous avons compris que quelque chose n'était pas normal. Presque immédiatement, des alarmes ont commencé à se déclencher au poste du circulation (il est directement posté près de nos guichets). Je suis sortie avec deux collègues, et il est devenu évident que c'était arrivé : quelqu'un était passé sous le train. La moitié de la rame était encore en dehors des voies de la gare, chose que je n'avais jamais vu. J'ai à peine eu le temps d'entendre le collègue du poste crier "ça a tapé !", avant de me ruer à la voie du milieu, où les clients commençaient déjà à descendre du train, complètement perdus.

Par "chance", un dirigeant était présent dans le train, ce qui a considérablement accéléré les démarches. Il nous a aiguillé et nous a aidé à gérer cet accident qu'aucun de nous n'avait jamais encore vécu. Au bout de quelques minutes, des agents habilités à se rendre sur les voies sont allés chercher les clients dans l'autre moitié de la rame.

A toutes les questions que les clients nous posaient, nous marchions sur des oeufs. Un homme était sous le train, il fallait attendre les secours, le trouver, et le prendre en charge. Pendant ce temps-là, aucun train ne pouvait circuler.

Pourquoi ?

Parce qu'il s'agit d'une vie, et que non, une bonne fois pour toutes, nous n'allons pas continuer à lui rouler dessus pour faire circuler les trains normalement. Notre responsabilité est de nous occuper de lui, et de nous débrouiller comme on le peut en dirigeant nos clients vers les bus de ville et les gares desservies par ces bus. Garder notre sang-froid, penser aux autres, tout en restant humain... C'est si dur. Rien, à part l'expérience et le vécu, ne nous prépare à gérer cela !

Je me souviens de ce que m'avait raconté une collègue que j'apprécie beaucoup. Des accidents de personne, elle en a vu à la pelle... Une fois où une cliente était particulièrement virulente et insultante, et commençait à scander qu'on avait qu'à "rouler sur ce connard pour qu'elle puisse rentrer chez elle", ma collègue, très calmement, lui a demandé si elle avait un mari. Prise au dépourvu, la dame a répondu que oui. L'agent lui a calmement dit qu'elle devrait peut-être l'appeler, lui demander comme il va, car cela pourrait être lui sous le train. Blanche comme un cachet d'aspirine, la dame est partie sans rien dire, et... a attrapé son téléphone ! Sûrement pour passer un coup de fil à son mari !

N'oubliez jamais que la vie de quiconque est tout aussi importante que la vôtre ou celle de vos proches. Cet homme, dans ma gare, qui a décidé de se jeter sous un train... Il avait des soeurs, et une petite amie, qui sont venues immédiatement en gare et qui ont su, instinctivement, que c'était lui.

C'était son choix. Le conducteur du train, très choqué, nous a dit qu'il avait vu son regard avant de le heurter. Cet homme savait où il était, et il faisait ce qui lui semblait juste.

Tremblotante sur les quais, j'ai renseigné mes clients tant bien que mal, leur indiquant les bus, les invitant à s'éloigner pour ne pas assister à cela. Eloigner tout le monde, voilà encore une mission compliquée ! Entre les curieux et les portables greffés à leurs maîtres voyeurs qui s'improvisent caméramen d'investigation, notre patience a été mise à rude épreuve. Il n'est déjà pas simple de supporter le mépris et la colère des personnes bloquées à cause de l'accident. Mais faire face au voyeurisme, que je considère comme de l'indifférence, voire du plaisir malsain, cela dépasse l'entendement. Chaque fois, j'avais envie de leur dire : "Si c'était votre mère, votre soeur, seriez-vous en train de la filmer ? Ou de prier pour qu'elle vive ?"

Voici les étapes que nous avons suivi.

Toute circulation des trains a été interrompue. Nous avons dirigé les clients vers les sorties et les arrêts de bus. Une collègue est restée près du train pour renseigner, et nous renvoyer les clients dehors. Nous avons fermé la gare pour empêcher quiconque de se balader dans une gare sans circulation pour y observer ce genre de spectacle.

Nous avons mis de la rubalise (le gros scotch rouge et noir) à proximité de l'endroit où se trouvait l'homme, pour éloigner les voyeurs, créer un périmètre de sécurité.

Nous avons attendu les pompiers et la police. Lorsque les pompiers sont arrivés, ils ont constaté que l'homme était vivant. Lorsque le mot "vivant" a été prononcé, je ne saurais vous dire la force du soulagement qui m'a envahi. Il était vivant... Mais à quel prix ?

Toutes ces procédures ont pris plus d'une heure. La victime était vivante, ce qui a considérablement facilité les choses, je vous l'avoue.

En cas de décès, il est nécessaire d'attendre l'OPJ, officier de police judiciaire, afin qu'il mène son enquête. On ne peut faire circuler les trains tant que le meurtre n'est pas exclu. C'est en tout cas ce que l'on m'a appris lors de ma formation.

Mort ou vivant, je peux vous dire que voir un corps sous un train, ça fait mal. J'ai eu du mal à dormir le soir-même, et les nuits suivantes également. Les policiers nous ont ramené sa carte Navigo... On ne pense pas à ce genre de détails stupides dans cette situation. "A-t-il un passe Navigo ?". Mais bien sûr !

J'ai regardé sa photo, son nom, son joli prénom... Et je me suis demandé ce qui avait pu pousser cet homme à vouloir mourir. Comment pouvait-on en arriver là, être si triste que l'on abandonne tout... Etre si malheureux que l'on arrive à trouver le courage de voir la mort en face...

Une heure et demi plus tard, la circulation des trains a repris et ma chef m'a laissée partir avec vingt minutes d'avance. J'ai mis la clé dans le contact, et arrivée au feu rouge devant la gare, j'ai éclaté en larmes.

Je savais très bien ce qui pouvait amener quelqu'un à vouloir mourir. J'en avais déjà eu envie, moi aussi. Et j'étais triste, tellement triste, de voir que je n'étais pas la seule, et que sa vie allait être encore pire à présent. J'ai eu envie de lui dire "Je te comprends". Mais aussi... Que la vie, si moche puisse-t-elle parfois être, finit toujours par nous montrer ses bons côtés, et qu'ils valent tellement le coup d'être en vie !

La prochaine fois, je ne serai pas moins triste, ni moins en colère. Cela sera toujours dur. Je suis une humaine, mais une professionnelle. Les larmes ne coulent qu'à la fin de service.

 

paix

J'espère ne pas vous avoir déprimé, les amis !

Je vous souhaite à tous une excellente journée, pleine de vie...

 

 

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Commentaires
B
Je me remets un peu dans la blogo après une longue pause... Ca fait plaisir de te suivre ;-)
B
Rebonjour ici et bravo pour ton billet et ton émotion. Pour en avoir vécu 3 dont le dernier plus marquant ce 29 janvier, je relis l'émotion que j'ai aussi eue à un autre niveau avec ma fille... Beaucoup de gens ne réagissent pas à la portée du terme "accident de personne"... par égoisme d'abord pour rentrer à la maison, et puis d'autre part parce qu'ils ne sentent pas du tout concernés...<br /> <br /> Ces accidents de personne c'est avant tout l'histoire d'une vie partie, d'une famille détruite au délà... et puis de tout un personnel ici et là qui va faire un boulot pénible sans aucun remerciement la plupart du temps de ceux qui ont ralé des heures durant de ne pas avoir "leur" train.<br /> <br /> ...<br /> <br /> Mais c'est aussi dans ces moments là, y compris quand on a à un moment pensé que c'était une solution que de faire le grand saut, qu'on comprend que la vie est belle à vivre malgré tout...<br /> <br /> <br /> <br /> Continue à écrire...
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